March 1, 2023
CHRONIQUE COMMANDITÉE
Loi 96
Entreprises, êtes-vous prêtes?
Entrée en vigueur au Québec au début de l’été dernier, la loi 96 aura un impact très important sur la langue du commerce. Dans une mesure qui se veut une tentative de ralentir l’érosion du français au Québec, le gouvernement apporte des changements dont les conséquences vont toucher un grand nombre de PME.
« La Loi 96 comprend des éléments qui sont entrés en vigueur en 2022, tandis que d’autres le seront en juin de cette année et un dernier volet en 2025 », explique Me Dani Ann Robichaud de la Boîte Juridique. « Dans l’ensemble, la loi 96 promouvoit le français dans l’affichage, l’emballage et les produits vendus dans la province. »
À peine entrée, déjà contestée
Cependant, l’imposition de la nouvelle loi ne se fait pas sans grincements de dents et a une portée plus large que la loi ne suggère. Ainsi, les articles 5 et 119 ont été contestés devant les tribunaux et leur application fut suspendue avant même leur entrée en vigueur.
« Ces articles prévoient notamment que toute personne morale qui s’adresse aux tribunaux du Québec doit, sous peine de rejet de leur procédure, produire une traduction officielle en français, de tout document juridique rédigé dans une autre langue, y compris en anglais, pour qu’il soit reconnu », précise Me Robichaud. Si les articles de la Loi 96 et présentement visés par la suspension devaient être reconnus valables, « Un contrat rédigé en anglais ne pourrait donc pas être valablement produit dans le but de supporter une réclamation visant son respect sans qu’une traduction, préparée par un traducteur agréé, accompagne l’original. On s’imagine les conséquences, sans compter les coûts et les délais additionnels qu’imposera une telle mesure sur les entreprises. »
Par ailleurs, dans une décision recente, l’honorable juge Corriveau a justifié la suspension de ces dispositions en précisant que, tel que rédigé, il y avait l’apparence de contrevenir à la Loi constitutionnelle de 1867 permettant l’accès aux tribunaux en français ou en anglais. Il faudra alors attendre l’adjudication sur le fond pour connaître le sort réservé à ces dispositions de la Loi.
Portée large
Plus inquiétante encore pour les PME est la portée large de l’ensemble des exigences de la Loi 96. Ainsi, à compter de juin 2023, un contrat d’adhésion ne pourra être présenté pour signature en anglais sans que la version française ait d’abord été remise et que l’autre signataire ait donné son consentement à ce qu’il soit conclu plutôt en anglais. Il ne sera de toute manière pas recommandé de le faire pour les personnes morales dans l’éventualité où le tribunal devait retenir la légalité des articles précités, car elles devront produire un exemplaire traduit en français. Que dire du consentement du consommateur unilingue anglophone à qui on présente un contrat en français? À voir!
Mais il y a plus: à compter de juin 2025, une entreprise ne pourra afficher une raison sociale (nom d’entreprise) qu’en français, à moins d’avoir déposé et obtenu une marque de commerce auprès du Registraire.
« Le problème est qu’il faut trois ans en général pour obtenir une marque de commerce; or, la nouvelle disposition entre en vigueur dans deux ans. Les entreprises qui n’ont pas entamé leurs démarches vont manquer de temps », craint l’avocate.
L’entreprise fautive s’expose à une amende de 3 000$ à 30 000$ pour une première infraction, de 6 000$ à 60 000$ pour une seconde et de 9 000$ à 90 000$ pour les subséquentes; « Et ce, pour chaque jour d’infraction », dit-elle.
Prudence
Difficile de savoir combien de temps prendra la Cour Supérieure pour rendre une décision sur la validité des dispositions exigeant les documents juridiques traduits en français comme condition pour se présenter devant les tribunaux du Québec. Chose certaine, ces nouvelles obligations imposées aux entreprises du Québec sont lourdes et amènent leur lot de coûts, difficultés et complexité additionnels aux dirigeants et exploitants de PME et permettent de douter de la justification des moyens entrepris.
À savoir si d’autres dispositions de la Loi 96 feront l’objet de contestation devant les tribunaux, il restera à voir, car la loi est nouvelle et son impact est encore méconnu. Par contre, il est moins probable de voir la Cour invalider les règles concernant l’affichage, les produits et l’emballage en français uniquement. Certaines de ces dispositions trouvent déjà leurs racines dans la Charte de la langue française.
AVERTISSEMENT: L’information contenue dans cet article, bien qu’elle soit de nature légale, ne constitue pas un avis juridique. il est suggéré de consulter un professionnel pour des conseils qui sauront répondre à votre situation particulière.